Inv. SDD/sp-35803
Maleficium

Ensemble de pièces d'un Pacte démoniaque offert à un des Enquêteurs du Surnatéum
Origine : mélange curieux datant de la première moitié du dix-neuvième siècle.

Description

Coffret de type napoléonien contenant un crâne de cuivre, une pièce apocalyptique, un crucifix noir, un pacte ancien, un jeu de tarots incomplet et usé.

Dossier : Témoignage de Conteur

Au début, je n'ai pas compris la raison de son invitation. Mais on ne peut vraiment rien lui refuser. Auteur fameux de contes et nouvelles fantastiques, amateur d'art éclairé, collectionneur d'objets étranges et homme d'affaire accompli, certaines circonstances l'avaient placé au-delà de tout besoin. Sa connaissance de l'occulte était encyclopédique et de nombreux voyages dans de lointaines contrées avaient contribué à étendre son savoir de la " chose magique. " Qui plus est, son cuisinier malais opérait de véritables miracles de raffinement culinaire.
A la fin d'un somptueux repas, après que le serviteur se fut discrètement éclipsé, nous nous installâmes dans la bibliothèque.
" Croyez-vous en l'existence du Diable ? " Demanda-t-il abruptement.
La question me prit par surprise.
Je lui rétorquais que d'après la Bible et la conception chrétienne, le Diable était une créature divine dont le nom diabolon signifiait celui qui divise et empêche l'homme de comprendre et d'accéder à son essence divine, en créant l'illusion de multiplicité, de différence. Qu'il ne s'opposait non pas à Dieu mais à la notion de symbole, sumbolon, ce qui rassemble. Que Satan, Shaitan ou Seth étaient diverses représentations du même personnage...
" Vous m'étonnez par votre connaissance. " Ajouta-t-il. " Vous n'êtes pas de ces ignares qui en font l'ennemi de Dieu. "
Il m'entretint ensuite des sorcières de Salem, de l'abbé Gaufridy, d'Urbain Grandier, du Baphomet des Templiers, du Malleus Malifecarum dont il possédait un exemplaire relié dans la peau d'une sorcière et d'une infinité d'autres sujets. A ce propos, il était intarissable.
" Depuis l'aube de l'humanité, l'homme a pactisé avec les forces des ténèbres en échange de la fortune, du succès auprès du sexe opposé, de la santé ou de la renommée. Il n'est pas rare de nos jours, de trouver les traces d'immondes sacrifices sanglants à la croisée des chemins, et pas toujours dans la lointaine province. Mais laissez-moi vous montrer un curieux ensemble d'objets. "
Il se déplaça vers la bibliothèque et appuya sur un ressort dissimulé. Aussitôt une paroi de bois glissa sur le côté, révélant une cache secrète. Il en sortit un coffret à bijou français datant du début du dix-neuvième siècle, une clé ancienne et un curieux parchemin.
" Ce curieux document est un pacte, écrit sur les pages vierges d'un document manuscrit. Le papier étant une denrée rare et coûteuse à l'époque, on faisait feu de tout bois. Ce pacte fut établi entre un magicien d'alors, un chanoine de noble ascendance, et un démon ou plutôt un Daïmon, un Djinn particulièrement retors, du nom d'Eblis. En présence d'une " confrérie " de nobles français expatriés en Belgique qui avaient échappé à la guillotine et réclamaient vengeance. Le pacte fut établi par une nuit de tempête au cours d'un rituel particulièrement éprouvant.
Le chanoine possédait un prodigieux talisman arabe ancien, une anancithide, une pierre pour évoquer les démons, qui curieusement ressemble à un fragment de la Pierre Noire de la Kaaba. Il prononça le " Bagahi Laca Bachabe...", la formule d'invocation des diables musulmans.
Alors, dans une odeur épouvantable une forme indistincte apparut. Après le choc de l'apparition, les conspirateurs présents qui ne s'étaient pas évanouis, se reprirent. La plupart d'entre eux demandèrent la vengeance pour tous ceux qui avaient péris lors de la révolution française, d'autres demandèrent le retour de leur fortune ou des êtres aimés dont ils avaient été séparés.
Seul le chanoine ne se laissa pas emporter par ses sentiments. Il savait que le prix que ces inconscients auraient à payer pour voir accomplir leurs désirs allait être exorbitant. C'est pourquoi, quand vint son tour, il demanda la connaissance absolue du Bien et du Mal, le savoir total. Une curieuse demande, mais celui qui sait tout peut facilement rompre un pacte.
Le démon eut un sourire malicieux, puis accepta. En échange, et contrairement aux termes habituels des pactes, Eblis exigea du chanoine d'être à son service durant le terme du contrat et de lui trouver d'autres âmes comme celles dont il venait de s'emparer. Le " magicien " n'hésita pas et accepta. Il signa le pacte de son propre sang en imprimant l'empreinte de sa main sur le parchemin. C'est alors que le démon offrit au chanoine une curieuse forme d'immortalité : ce dernier vivrait une vie normale de la naissance à la mort, puis se réincarnerait à nouveau. A chaque fois qu'il atteindrait son âge actuel, le démon se manifesterait pour lui rappeler les conditions du pacte. Il aurait ainsi l'éternité pour apprendre, une damnation éternelle. En replaçant sa main dans l'empreinte du pacte, il se souviendrait.
A ce moment un curieux voile passa devant les yeux de mon hôte, et je crus y lire une intense fatigue ; celle d'un homme écrasé par le poids d'une intense malédiction. Mais peut-être n'était-ce qu'une illusion.
Il ouvrit le coffret et en sortit un jeu incomplet de cartes de Tarot, une longue aiguille à chapeau, un petit crâne en cuivre, une pièce de monnaie très ancienne sur laquelle figurait la Bête de l'Apocalypse et un crucifix noir.
" Le jeu de Tarots est un merveilleux instrument de communication avec les habitants des Ténèbres. Et Eblis n'est jamais loin de ces objets. Laissez-moi vous montrer. "
Il mélangea les cartes et me demanda d'en retirer une ; je pris sans le savoir la carte du Diable.
Hasard, coïncidence ou signe ?
" C'est un premier signe ! "
Il ouvrit le pacte à la page contenant un carré magique, signature du Djinn, et l'empreinte de la main. Il posa la vieille clé sur la paume de sa main et récita une courte incantation.
" Prince du Mal, à ton féal donne licence, pour Toi d'avoir tout pouvoir et tout savoir, car j'ai mis en Toi, ô ! Eblis, mon âme en ta Puissance. "
La clé se mit à tourner lentement sur sa paume ; une force invisible tentait de se manifester dans notre monde.
" Maintenant que nous sommes sûrs d'une présence, forçons-la à se nommer. Veuillez placer le crucifix, le crâne et la pièce sur trois sections du carré magique. Ils doivent respecter la Règle des Déplacements. "
J'additionnai ensuite les nombres choisis aléatoirement et obtint sur ma calculette un total de 51783.
" Retournez votre calculatrice bout à bout, et lisez l'inscription qui s'y trouve. Les démons sont les maîtres de l'inversion des valeurs. "
J'y lut EBLIS.
Il mêla à nouveau les cartes du jeu de Tarot et me demanda d'y insérer l'arcane du Diable. Le jeu fut coupé à cet endroit là. Je retournai ensuite une par une les cartes qui se présentèrent à moi : la première était celle du magicien, l'homme de pouvoir. La carte suivante, celle de la Fortune fut suivie de l'arcane de l'Amoureux. Enfin la dernière, la Mort rappelait la vengeance demandée par le cénacle de la première invocation.
En plaçant ensemble les arcanes du Diable et de la Fortune, un Louis d'or se matérialisa.
Il est temps de connaître le prix exigé pour l'accomplissement de vos désirs.
Je manipulai à nouveau les objets sur le carré magique. Le total, 37080, me donna le mot OBOLE.
Mon hôte me donna l'épingle à chapeau pour me percer le doigt et verser cinq gouttes de mon sang sur le pacte.
Je faillis accepter, mais je n'ai jamais supporté les piqûres ; aussi refusai-je.
" Quel dommage ! " Ajouta mon hôte. Instantanément, la pièce d'or disparut, et sur la calculatrice le mot ERROR brillait.
" Tout cela ne vous rappelle-t-il rien ? Placez votre main sur l'empreinte du pacte ! "
Elles correspondaient parfaitement.
On me retrouva errant dans les rues de Bruxelles à cinq heures du matin. Depuis, je n'arrive plus à dormir.