Inv.SDE/rt-57416
La Corde de Shivaji
Un mystère indien
Acquisitions du Surnatéum en 1993 et en 2003
Origine : Inde (Kalakaron ki Basti - Shadipour Depot - Delhi Sud) et Calcutta

Description :

Ensemble de Jadoo Wallah (magicien indien) composé d’un ancien panier à serpent contenant une corde en chanvre, d’une flûte de charmeur de serpent, d’une trompette utilisée dans des rituels funéraires, d’un petit tambour, d’une cloche en bronze surmontée d’un Naga à sept têtes, d’une paire de sandales en bois très usées, d’un conteneur en parchemin rappelant la forme d’un linga, d’un jeu de gobelets en bois, d’aiguilles de «fakir», d’un Shiva Linga et d’une Yoni. Un rosaire composé de 108 perles taillées dans des crânes d’hommes saints, dédié à Yamantaka, accompagne l’ensemble.

Témoignages:

C’est en décembre 1993, lors de la présence du Conservateur au Congrès Mac Millan à Londres, que nous entendîmes pour la première fois parler de la légende de Shivaji. Un des interlocuteurs mentionnait le décès récent de l’illusionniste Will Ayling (auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels figurait Oriental Magic) et la dispersion de certaines pièces rares de la collection. Parmi ces pièces, on perdait la trace du jeu de gobelets en bois que le prestidigitateur avait acquis en 1946 auprès d’un Jadoo Wallah de la caste des Kalbaliya (les « gitans indiens ») du nom de Shivaji. Un participant anglais d’origine indienne, lié à cette caste, et intrigué par notre discussion, nous raconta la légende suivante.

Shivaji naquit quelque part dans le Rajasthan vers 1910, dans une famille d’artistes de cirque itinérants de la caste des Kalbaliya. A sa naissance, il portait une marque bleue au niveau de cou, ce qui n’était pas sans rappeler la marque que Shiva porta après avoir absorbé le poison Kaalakoota vomi par le roi cobra Vasuki, lors du barattage de la mer de lait. Un mythe indien.(1*)
Très tôt formé à tous les secrets des magiciens et de charmeurs de serpents (il était lié aux Nath du village de Molarband), il se montra particulièrement habile et doué dans ces techniques. Capturant son premier cobra royal à l’âge de 10 ans, un véritable exploit… Il devint, sinon célèbre, du moins un des meilleurs illusionnistes de rue et une légende parmi les siens. Il manipulait les gobelets de manière remarquable…
A l’âge de 20 ans, Shivaji était d’une taille plus élevée que la moyenne, avait la peau sombre des dravidiens et un regard qui dégageait un très grand magnétisme, une force intérieure hors du commun. Car quelque chose d’autre habitait le jeune Jadoo Wallah, une soif inextinguible d’apprendre…
Loin d’être satisfait des tours qu’il exhibait pour le public, son désir le plus cher était de dépasser le cadre des simples manipulations et trucages pour arriver à un jour réaliser le plus mythique des tours en Inde : le tour de la corde hindoue. Bien entendu, sans recourir aux artifices classiques de l’illusionnisme. Vers la fin des années ‘40, il se débarrassa de son attirail de prestidigitateur itinérant, quitta son « clan », et se mit à la recherche des yogis qui pourraient lui apprendre une magie d’une autre qualité. Il voyagea en Asie et en Afrique, à la recherche de ceux qui savaient, qui pourraient lui enseigner la magie de l’esprit et celle de l’âme. La magie qui passe par une profonde transformation du magicien.
Il acquit des connaissances dans la thaumaturgie la plus sombre auprès de chamans et des yogis du Nagaland et du Tibet ; il échangea des diableries avec les gali-gali du Caire, ensuite sa trace fut perdue…
Durant une trentaine d’années, personne n’entendit plus parler de lui, mais il est dit qu’il s’isola pour méditer. Il apprit, par la méditation, la magie supérieure des Nagas (les dieux serpents de l’Inde), celle de Yama la divinité des morts, d’Indra (la magie des éléments). Il ouvrit son troisième œil, que certains scientifiques associent à la glande pinéale, pour petit à petit s’approcher de Shiva dont il se sentait devenir l’avatar. Sa connaissance des poisons et des médecines de l’Ayurveda lui permirent de créer des drogues le transportant dans l’autre monde.
Un jour de la fin des années ‘70, les membres de sa famille le virent revenir comme s’il n’avait jamais quitté le clan. Ses cheveux étaient tressés en longues nattes comme les sâdhus, et il portait à la main un étrange chapelet composé de 108 perles, taillées dans des crânes de saints hommes. Il ramenait avec lui ses instruments de charmeur de serpent et d’autres accessoires pour le moins inhabituels. Le panier ne contenait pas de serpent, mais une corde de chanvre que le magicien avait baptisé du nom de Vasuki.
Il parla de ses voyages, de certaines rencontres, et fit comprendre que pour atteindre son but ultime, il lui restait un acte très important à accomplir. Il expliqua à ses amis ce qu’il attendait d’eux, et leur donna rendez-vous en un lieu secret, connu d’eux seuls (2*) et ce, à une semaine de là, juste à l’apparition de la nouvelle lune. Ensuite il se leva et disparu dans la nuit.
Parmi les membres de sa caste, on comptait un joueur de tambour dresseur de singe, un autre charmeur de serpent et cinq autres témoins.
Quand ils arrivèrent au rendez-vous Shivaji se trouvait en profonde méditation, à quelques mètres de lui était posé le panier fermé. Nu et couvert de cendres, sur son front étaient tracées les trois lignes horizontales ocre, la marque de Shiva. Ils s’assirent donc autour de lui en silence et attendirent un signe du magicien. Le ciel se couvrait lentement de nuages. Quand le crépuscule s’annonça, il sembla sortir de sa transe, agita une petite clochette pour éveiller les esprits du lieu, ramassa une étrange trompette et se mit à jouer un air lugubre à réveiller les morts. Ses amis l’accompagnèrent en jouant de la flûte à serpent et du tambour. Les sons se répondaient les uns aux autres et brusquement, le couvercle du panier à serpent sauta. Dans l’ombre naissante, une forme sortit du panier en ondulant. Ce n’était pas un cobra, mais la corde qui lentement se déployait vers le ciel. Lorsqu’elle fut assez haute, le sommet perdu dans l’obscurité, Shivaji posa son instrument de musique, retira ses sandales et s’avança vers la tresse de chanvre. Il la saisit fermement en main et se mit à grimper vers le sommet. Bientôt, sa silhouette disparut dans l’obscurité… Ses amis, interloqués, s’arrêtèrent de jouer. A ce moment précis, la corde retomba dans le panier.
Personne ne revit jamais le magicien.
La légende raconte qu’une fois au sommet de la corde, son dernier désir s’évapora et, contemplant Shiva dansant avec sa Shakti, il se fondit dans la danse cosmique…

L’hindou qui racontait l’histoire jura qu’il avait reçu le témoignage de première main, d’un des participants au rituel, un oncle resté aux Indes. Et que les objets que le magicien avait laissés devant lui étaient devenus une relique de première importance pour sa famille. Et qu’ils attendaient le retour de l’avatar qui une fois de plus réintroduirait la magie dans le monde, en réanimant la corde.

Nous avons traqué les gobelets acquis par Will Ayling et avons fini par les retrouver … dans l’échoppe d’un antiquaire bruxellois, mais, malheureusement, le damaru qui les accompagnait reste à ce jour introuvable.

Quelques années plus tard, le Surnatéum reçut un appel à l’aide en provenance de Shadipour. L’appel pressant nous fit envoyer un membre de l’équipe sur place.
Sur place, un guide qui parlait correctement notre langue, nous amena dans les rues malodorantes (c’est peu de l’écrire) de la « cité ». Dans une case surchauffée, un vieil homme nous attendait, allongé sur une natte. Visiblement, il se remettait d’avoir été violemment tabassé… Le traducteur nous expliqua qu’il était le gardien des reliques de Shivaji. Mais que ces dernières étaient menacées à la fois par les tentatives de Monica Ghandi de supprimer les artistes de rue, ainsi que par l’action destructrice des comités rationalistes locaux (Indian Rationalist Association et Indian Science and Rationalists' Association) à la tête desquels se trouvait un certain B.Premanand. Agressé par des membres de la police locale, qui voulaient récupérer les objets magiques en sa possession, le vieil homme ne se sentait plus la force de protéger son trésor et nous demanda de placer ce dernier en lieu sûr. Ne fut-ce que pour un temps…
Ce qui est fait. La corde Vasuki se trouve dans le sanctuaire.
Un jour quelqu’un viendra les réclamer, avatar de Shiva, qui saurait à nouveau faire danser la corde vers les cieux.(3*)

Notes :

(1*) Ce mythe est de première importance dans les systèmes de croyance Saïvite et Vaishnavite. Les Devas et Assuras (dieux et démons) unirent leurs efforts pour baratter l’océan de lait à l’aide du serpent Vasuki. Pour en extraire l’Amrita, la boisson d’immortalité.
Mais Vasuki finit par vomir le poison Kaalakoota dont les vapeurs allaient tous les tuer. Shiva avala le poison, mais le bloqua dans sa gorge qui devint bleue. A ce jour, le nom de Neelakantha lui fut donné.

(2*) Il est vraisemblable qu’il s’agissait d’un ancien lieu de crémation, Shiva aime les cimetières.

(3*) Le tour de la corde hindoue est un des plus vieux mythes de l’Inde. Les premiers témoignages de la pratique de cet effet vienne d’un voyageur arabe en Chine en 1355, Ibn Batouta . Le magicien de la cour d’Amir à Hangzhou, lança vers le ciel, une balle en cuir à laquelle pendait des lanières. La balle disparut dans les nuages. Il fit grimper un de ses jeunes assistants sur la lanière de cuir et, comme celui-ci refusait de descendre, il monta à sa suite armé d’un couteau. Des morceaux du jeune garçon tombèrent du ciel. Le magicien revint, ses vêtements imprégnés de sang, il embrassa le sol devant Amir puis, réunissant les membres épars, redonna la vie au garçon. D’autres témoignages furent reportés au cours du 16ème siècle par des témoins hindous et … allemands.
Le tour semble tiré de rituels bönpos (Tibet) associant la montée au ciel et le démembrement par les démons. Des commentaires existent dans les Jatakas et dans les Mandukya Upanishad.
Dans son ouvrage The ordinary man’s India (1927), A.C.Brown cite trois témoins européens du tour. Le premier d’entre eux, Lady Waghorn l’aurait vu réalisé en 1892 près de Madras et en fit un article pour le Daily Mail.
Un écho à la légende de la corde hindoue se retrouve chez nous dans le conte de Jack et le Haricot géant, comme quoi…