Inv. SAH/to-43817
Irma

Histoire d'une Sensitive extrême
Pièce acquise par le Collectionneur en 1980
Origine : Délos (Cyclades), Paris (France), Bruxelles (Belgique)

Description

Boîte à couture de « fée » contenant également un exemplaire de la fin du dix-neuvième siècle d’un jeu du tarot de Thot. Une ancienne boucle d’oreille grecque en or et émeraude datée vers le quatrième siècle AC, des ciseaux fins et divers dés à coudre rehaussent le contenu de la boîte. Un album souvenir de la croisière d’études accompagne l’ensemble.

Dossier : Histoire et Légende de l’objet par un Conteur.

C’est au cours d’un périple, qui devait le conduire en Italie, en Grèce puis en Crête et dans les Cyclades, que Camille rencontra celle qui allait devenir sa femme. Nous étions en 1900, la première année du nouveau siècle ou la dernière de l’ancien, selon les uns ou les autres.
Fils de bonne famille de la bourgeoisie belge, lié par une lointaine parenté aux Lusignan, le jeune homme s’était vu offrir cette magnifique occasion de découvrir le monde à la fin de ses études. Professeur de latin-grec fraîchement émoulu et féru d’histoire antique, il allait partir durant une année entière à la rencontre des lieux et monuments qui matérialiseraient ses rêves d’adolescent.
L’Iliade, l’Odyssée, César, Hannibal, les dieux de l’Olympe, tout se mêlait dans l’enthousiasme de son départ. Il marcherait enfin dans leurs traces.
Rome, Pompei, Olympie, et même Venise et Florence, le voyage l’enchantait au-delà de tout ce qu’il avait pu imaginer.
Il visita Troie exhumée par le millionnaire allemand Schliemann plus de deux décennies plus tôt ; rendit visite à sir Arthur Evans qui venait récemment d’annoncer la découverte de Knossos; il restait tant de mystères à explorer...
Toute l’Antiquité revivait sous ses yeux.

C’est sur une île des Cyclades, Délos, qu’il rencontra la jeune fille.
Au cours d’une promenade sur les sentiers escarpés de l’île, Camille perdit pied et fit une chute de plus de dix mètres dans une crevasse. Sa tête heurta la roche, et il sombra dans les ténèbres.
La première chose qu’il aperçût lorsqu’il émergea du coma dans lequel il avait été plongé, fut le visage parfait de la jeune fille. Elle avait la beauté d’un ange et le charme délicat d’une habitante de Féerie.
Ce fut comme si tous ses rêves devenaient réalité.
Il en tomba immédiatement fou amoureux ; le coup de foudre absolu et partagé.
Il essaya de lui parler en grec ancien, le seul qu’il connaissait, et elle lui répondit dans la même langue.
“ Ne bougez pas. Vous êtes sans conscience depuis deux jours et vous avez failli mourir. Mais je ne l’aurais pas permis. ”
“ Ne soyez pas étonné, je parle de nombreuses langues. ” Continua-t-elle en français avec une moue énigmatique.
“ Votre jambe est brisée, et vous devrez rester au repos pendant un long moment. Malheureusement, cette partie de l’île est très isolée, vous êtes intransportable et je vais être obligée de vous garder. Ma maison sera la vôtre pendant la durée de votre rétablissement. ”
Elle habitait sur l’île avec ses deux sœurs et vivait de travaux de couture et du filage de la laine. Ses doigts de fée créaient de véritables petits chefs-d’œuvre, vendus un bon prix sur le continent.
Pendant toute sa convalescence, ils échangèrent leur passion commune pour l’Histoire ancienne, et elle semblait en connaître plus que lui sur le sujet. Elle évoquait les héros de l’Antiquité comme si elle les avait connu personnellement. Hercule était un peu rustre, Thésée un séducteur impénitent...
Aussi étrange qu’une jeune femme puisse l’être, elle refusa de lui donner son nom.
Ses yeux clairs semblaient lire dans le cœur de Camille à livre ouvert, et bien qu’apparemment âgée d’une vingtaine d’années, elle donnait l’impression d’être hantée par une âme très ancienne.
Quand il fut guéri, il lui demanda de l’épouser et de rentrer avec lui sur le continent. Il ne pouvait plus imaginer de vivre sans elle. Elle acquiesça à sa demande avec un enthousiasme certain.
Mais comme dans les contes de fées, ses deux sœurs ne voulurent pas la laisser partir, et ils s’enfuirent par une nuit sans lune. Elle emportait avec elle un petit objet qu’elle cacha à Camille.
“Comme cela, mes sœurs ne me retrouveront pas. Et puis c’est un cadeau de la vieille Enyo. Et j’y tiens.” Dit-elle.
Lors du voyage de retour, logeant quelques jours dans un hôtel parisien, Camille insista pour connaître enfin son nom.
Souriante, elle eut une réponse curieuse.
“Quand tu m’appelles ta fée, tu ne crois pas si bien dire. Et tu sais que les fées ne découvrent jamais leur nom aux humains.”
“Le mien peut s’écrire en 5 lettres.”
Elle posa sur la table qui lui faisait face cinq morceaux de carton sur chacun desquels était inscrite une des lettres de son nom.
“Retires-en une que tu ne liras jamais. C’est un tabou que je t’impose. Avec les autres compose-moi le nom qu’il te plaira de me donner.”
Les 4 lettres restantes permirent d’écrire Irma.
“Irma me convient très bien.” Ajouta-t-elle. “Pour sceller notre union et notre pacte, je noue ce fil de laine que tu porteras toujours sur toi. C’est un talisman, une sorte d’amulette qui te protégera en toutes circonstances. Une vieille superstition de chez moi. Mais ce n’est pas le seul de mes cadeaux. Je vais t’accorder un don unique.”
Elle alla chercher un jeu de cartes divinatoires acheté le matin même dans la capitale française et le mélangea.
“Le Destin de chacun est inscrit dans ces cartes. Si on mélange ce jeu, l’ordre apparemment aléatoire qu’il va prendre dévoilera le passé et l’avenir de celui qui les consulte. Pour toi je vais modifier le Destin. Retire sans la regarder une de ses cartes, et place-la sous la lettre cachée de mon nom. Ne consulte jamais ni l’une ni l’autre. Tu me perdrais à tout jamais.”
Camille jura qu’il ne manquerait pas à sa parole.

Et les années passèrent...
Camille était devenu directeur d’école et travaillait en collaboration étroite avec les musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles.
Sa fascination des mondes perdus ne l’avait jamais quitté.
Irma ne semblait absolument pas vieillir et se passionnait pour cette civilisation qu’elle découvrait tous les jours. La couture et la lecture des contes et légendes semblaient être ses deux plus grands passe-temps. Dans de très rares occasions, elle tirait les cartes pour l’un ou l’autre ami de la famille. Avec une justesse étonnante.
Lui-même n’éprouvait pas les habituels embarras de l’âge qui avance, et se sentait toujours en pleine forme.
Le couple n’avait pas d’enfants mais cela ne semblait pas les préoccuper.
Elle cachait dans une boite l’objet dérobé à ses sœurs, avec son matériel de couturière et son jeu de tarot.
Un jour du début de l’année 1929, Camille fut charger d’aider un de ces amis, le professeur Mayence, Conservateur des Musée Royaux du Cinquantenaire, de préparer une croisière d’études en Grèce. Un souvenir lui revint en mémoire qui déclencha une curiosité sans nom. Qu’est-ce qu’Irma cachait dans sa boite ; qu’avait-elle dérobé à ses sœurs ?
Le “Tabou” ne s’appliquait pas à cet objet.
Profitant d’une absence de sa femme, il jeta un coup d’œil dans le coffret et y trouva... un œil de verre.
Celui de la vieille Enyo, une Grée, mère des Gorgones de la mythologie grecque, et qui fut un temps dérobé par Persée. Cela sembla trop énorme...
Intrigué, il alla dans son bureau et retira une enveloppe qui contenait la lettre manquante du nom d’Irma et la carte de tarot.
Estimant qu’après autant de temps passé ensemble elle lui pardonnerait cet écart, il prit connaissance de la lettre cachée. Il s’agissait d’un O. Symbole du néant ou du tout.
A titre de jeu, il combina Irma et O, et obtint Moira.
Le nom des Parques, les Moires en Grec. Clotho, Lachésis et Atropos, les fileuses du Destin, celles qui connaissent tout, passé, présent et avenir et possèdent le don de prophétie. Les Fatae, les premières des fées dont les sentences sont impitoyables. Un frisson glacé lui parcouru l’échine accompagné d’un sentiment de sacrilège.
A ce moment, Irma entra. Horrifiée par cette trahison, elle le foudroya du regard et dit d’une voix triste
”Mes sœurs m’avaient prévenue que l’on ne peut faire confiance aux mortels, tu viens de me perdre pour toujours. Et si tu veux tout savoir, des trois je suis Atropos, l’inflexible. Tu as brisé ton serment, sois puni.”
Elle prit ses petits ciseaux de couturière, et coupa un invisible fil.
Aussitôt, Camille sentit que le fil de laine qu’il portait sur lui depuis des années, se rompait.
La jeune fille s’enfuit en larmes. Plus personne ne la revit jamais.
Camille désespéré retourna la carte de tarot cachée, celle retirée de son destin, et découvrit la mort qui le fixait de son rictus édenté.
Trois jours plus tard on l’enterrait.

Note

Le mot fée provient du latin fata qui signifie destin, nom donné aux Moires. Les premières fées furent donc les Parques. On leur attribue un don prophétique.
L’œil n’est pas à proprement parlé celui des Moires, mais des Grées (mères et gardiennes des gorgones). Elles sont parfois confondues avec les Moires.